mardi 17 juillet 2012

Les coups...bas !



A bas Céline.

Le journal « Le Monde » se placerait-il dans la cohorte des « anti Céline » ? C­­­’est ce que porte à penser son supplément  « Livres » du 13 juillet 2012.

Présentant un écrivain peu connu sous le nom de Jean Meckert, dont le livre intitulé « Les Coups »  serait particulièrement remarquable, il ne se contente pas de cette appréciation peu nuancée. Il donne la parole à une écrivaine qui a post facé le bouquin et qui, pour étayer ses coups d’encensoir démesurés, ne trouve rien de plus honorable que de s’en prendre à Louis Ferdinand Céline.

On peut lire, par exemple que « Les Coups » serait « l’antidote », le contrepoison à l’œuvre de Céline, qu’il serait « à l’antipode », à l’opposé de la vision célinienne du Monde. Pour cette amoureuse des « Coups », les coups bas n’ont pas de secrets. Elle écrit que Céline est « un cabotin littéraire », marqué par son « ignominie ». Selon elle, Céline  « étale sa complaisance pour  ce qui avilit, amoindrit, anéantit les êtres ». Pour qui connait un peu la vie et l’œuvre de Céline, sans en gommer les aspects noirs, ce genre d’affirmations surprend.
C'est sa fréquentation de Victor Hugo qui fait divaguer l’auteure « Du trop de réalités » ?
Camus, dans un Manifeste censuré  écrit en 1939, à propos des obstacles à la liberté d’expression, qu’il en est qui sont difficiles à vaincre : « …Mais il fautconvenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, et nous en passons …». Le journal Le Monde ne peut-il se dispenser d’éditer ce numéro d’« inintelligence agressive » ?

Pourtant, dans le même numéro du « Monde des Livres », on relève une tentative audacieuse pour échapper à la critique exposée ci dessus.  Céline fait l’objet d’une recension d’un colloque organisé à Berlin par la Société d’études célinienne sur le thème « Céline et l’Allemagne ». On y voit la aussi la volonté de réduire la portée de l’œuvre célinienne. C’est ainsi qu’on y apprend que Céline buvait le café régulièrement avec le vichyssois Marcel Déat mais qu’il a « renié » cette relation. On découvre aussi que Céline, pour mieux connaître Berlin, n’hésitait pas à se faire inviter par les autorités nazies. Les Pamphlets sont cités et devraient sous réserve de « préfaces et postfaces » d’alerte, échapper en 2032 à des « poursuites pénales pour incitation à la haine raciale ». Enfin on apprend que Céline n’aimait pas la langue allemande et que « s’il a éprouvé de la sympathie pour eux (les allemands) tant qu’Hitler pouvait gagner la guerre, il les a détesté à nouveau dès que cette perspective a disparu ». Ceux qui voudraient découvrir Céline sont servis.


Quant à Jean Meckert, il n’a pas eu de chance. Il n’était connu, pour beaucoup, que sous le nom de Jean Amila, et seulement par les amateurs de romans policiers. Ses concurrents anglo saxons  des années 50 étaient, selon moi, beaucoup trop forts pour lui. Chandler, Chester Himes, Mac Bain, l’ont laissé sur le carreau..Quant à l’extrait des « Coups » qui figure dans Le Monde, il est drôle. Bien sur, se moquer des « petits anars de Noisy le sec, plutôt marrants » quand ils font « croiscrois crois devant le Pape » est un peu simple. Mais on croirait du Céline quand on lit : « …et trois quarts de siècle plus tard les idées (celles de Proudhon et Bakounine) restaient tellement avancées que le peloton n’avait jamais pu ramarrer l’échappée … » C’est  vrai que dans la société d’aujourd’hui les idées et l’idéal anarchistes ont peine à faire leur place dans les têtes. Ceci dit, pour un lecteur de ces anars célèbres, « croire en la création d’une armée au service de l’universalité » est une drôle de « croyance ». Quant à son conseil aux littérateurs d’avoir à lire Zola pour retrouver « …le contact du public populaire, de ceux qui ont quelque chose à leur apprendre… », les enfants du peuple de Paris, des fédérés de la Commune auraient apprécié cette recommandation.(1)

AZ 15 juillet 2012

(1)  Dans son opuscule intitulé « Mes Haines », Zola s’en prend à Proudhon et aussi à Courbet, à propos de l’ouvrage de Proudhon « De l’Art et de sa destination sociale ». Cette référence au « social » déclenche son ire. Il écrit :

« …D'ailleurs, la définition (de l’art par Proudhon) m'inquiète peu. Elle n'est que le résumé fort innocent d'une doctrine autrement dangereuse… »

Il savait montrer sa constance dans la définition des doctrines dangereuses et de l’harmonie sociale :

Le 3 juin 1871, Zola écrit sur le peuple de Paris, dans le journal « Le Sémaphore de Marseille », à propos des massacres de plusieurs milliers de parisiens par les troupes de Mr Thiers pendant la Commune :

« …le bain de sang qu’il vient de prendre était peut être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur.. . »

Vingt ans plus tard (1892), il écrit ceci dans le roman « La Débacle »,. Son héros, Jean, le paysan, soldat dans les troupes de Versailles, symbolise la France. Jean tue Maurice, le fédéré de la Commune de Paris.:

« …C’était la partie saine de la France, la raisonnable, la pondérée, la paysanne, celle qui était restée le plus près de la Terre  qui supprimait la partie folle, exaspérée, gâtée par l’Empire, détraquée de rêveries et de jouissances :   et il lui avait fallu couper dans sa chair même, avec un arrachement de tout l’être sans trop savoir ce qu’elle faisait.  Mais le bain de sang était nécessaire, et de sang français, l’abominable holocauste, le sacrifice vivant au milieu du feu purificateur… »

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